Rituel des dissections (1526)

On payait, dans l’ancienne école de médecine jusqu’à l’assistance aux démonstrations anatomiques : 12 deniers par anatomie pour les étudiants et 15 deniers pour les étrangers. Le spectacle avait par sa rareté le privilège d’attirer dans le sanctuaire d’Hippocrate, à côté des médecins de profession, nombre de profanes, hommes du monde, hommes d’église même, désireux de s’initier à la connaissance de la structure du corps humain ; et chacun pour parer aux frais de l’autopsie, acquittait le prix de la place qu’il venait occuper dans l’amphithéâtre. On eut bien parfois l’idée d’y admettre gratuitement, dès le principe, les étudiants ; mais comme c’était leur caisse qui subvenait aux nécessités de la dissection, et comme la présence des spectateurs étrangers aurait été insuffisante à les couvrir toutes, on exigea d’abord une rétribution uniforme de quiconque pénétrait dans la salle. Ce surcroît de dépense ne revenait, à la vérité, pour nos étudiants que de loin en loin : car on ne soumettait guère à ce genre d’étude que les cadavres des suppliciés ou de certains inconnus de bas étage, morts dans les hôpitaux. Le Livre des Procureurs enregistre une anatomie pour l’année 1526 deux anatomies pour l’année 1527, trois anatomies pour l’année 1528, quatre anatomie pour l’année 1529 ; deux anatomies pour l’année 1530 ; trois anatomies pour l’année 1531, six anatomies pour l’année 1532, trois anatomies pour l’année 1539, cinq anatomies pour l’année 1534, deux anatomie pour l’année 1535, où s’arrêtent les enseignements de cette nature.

L’anatomie était en honneur et enseignée surtout par Rondelet (1507-1566) qui s’occupa avec talent de toutes les sciences naturelles et donna à l’enseignement de l’anatomie une impulsion des plus fécondes. Il faisait souvent sur le cadavre des démonstrations auxquelles assistaient même les gens du monde. Son amour pour la science allait jusqu’à la passion. Il supplie son ami et collègue, Fontanon, malade, de se laisser disséquer après sa mort, et, sur son cadavre, il découvre la substance mamelonnée du rein ; il étudie devant ses élèves le placenta commun de deux jumeaux ses enfants et fit même une leçon publique sur le cadavre de son fils. Les élèves affluaient autour de lui. Bien qu’en 1529 la salle de dissection fût équipée pour recevoir des cadavres et assurer ainsi un enseignement digne de la Faculté Rondelet en 1556 fit un don à la Faculté et permit aussi la construction d’une salle plus grande.

L’école de médecine en était encore réduite, à cette époque, à n’avoir pas même un squelette lui appartenant, et à envier le seul qu’eussent à Montpellier les barbiers chirurgiens. Les dissections y devenaient moins rares, cependant le jour même où l’on envoyait à Aigues-mortes le bedeau de l’Université prendre le squelette que désigne le Registre de nos archives, on installait dans l’amphithéâtre d’anatomie une table en pierre, qu’on entourait d’une chaire professorale en pierre, et d’un banc à l’usage des élèves.

Le 18 janvier 1527, le bruit s’étant répandu, vers la nuit, que le prévôt des maréchaux allait procéder à une exécution capitale, le procureur de l’Université tint vite conseil, avec les étudiants et bacheliers en médecine et l’on décida de réclamer le futur pendu, pour en faire cette fois, non pas une simple anatomie, mais, comme s’exprima le procès-verbal de l’assemblée, une anatomie sèche, à la manière de celle que possédaient les chirurgiens. Le prévôt ayant refusé de livrer le cadavre, il fallut surseoir ce besoin, et l’on se dédommagea en achetant à Aigues-Mortes, le 3 novembre, un squelette avarié par l’humidité, auquel il manquait plusieurs os.

On confiait ordinairement le soin de l’autopsie et de la démonstration à un des meilleurs maîtres de l’école (Jean Schiron, Jean Faucon, Denis Fontanon, Antoine Gontier et. Antoine Saporta). C’est Schiron qui fit en 1530 celle où Rabelais (1494 ?-1553) en signait de sa main le registre « Rabelaesus, quia praesens ».

On donnait un écu au professeur chargé d’interpréter l’histoire du corps humain ; le surplus de la recette était affecté aux frais matériels de l’opération et de ses suites. Ils étaient assez considérables : car on n’avait pas de provisions de laboratoire, comme aujourd’hui et tout se payait selon les besoins du moment
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Voici, à titre d’exemple, la carte des dépenses réalisées pour la seconde anatomie de l’année 1527, que présida le professeur Jean Faucon et inscrite au compte du Procureur Claude Mussard.  » Nos médecins y reconnaîtront l’enfance de l’art chirurgical, et me sauront gré, j’aime à le croire, de cette visite à un amphithéâtre de dissection « .  » Pour l’éminent et très savant maître Jean Faucon, doctissime interprète de l’histoire du corps 20 sous. Pour le prosecteur, 20 sous. Pour le vase de verre destiné à recevoir les intestins, ainsi que pour le feu et les étoupes, 5 sous 10 deniers. Pour l’encens employé à assainir la salle, 18 deniers. Pour le garde de l’hôpital, qui a bénévolement livré le cadavre, 5 sous. Pour la femme dudit garde, qui a prêté le linceul dans lequel on l’a apporté à l’École, 2 sous, afin de la mieux disposer à nous avertir lorsqu’il se présentera des corps propres à la dissection. Pour les hommes, qui ont amené le cadavre de l’hôpital au Collège de médecine 2 sous. Pour le vin, qui a servi à le laver, et pour ceux qui l’ont lavé, 2 sous. Pour une livre de chandelles, nécessaire à la poursuite de la dissection dans la soirée du jour de l’autopsie, 16 deniers. Pour le suaire d’ensevelissement, et pour les tabliers et linges de dissection, 7 sous. Pour la préparation du cercueil et de la fosse, l’appel des prêtres, le port des cierges qu’ont exigés les funérailles, 9 deniers. Pour les peines du bedeau de l’Université, qui a concouru à l’opération, en ouvrant les portes, en entretenant le feu, en fournissant de son mobilier nombre d’ustensiles dont on avait besoin, 5 sous. Pour sa femme, qui a ensuite nettoyé la salle, 12 deniers. Pour ses enfants, qui ont également prêté assistance, soit en aidant les opérateurs, soit en courant chercher tout ce qu’il fallait, 4 deniers. Pour le prêtre de Saint-Claude et pour le fossoyeur, 6 livres. Pour les prêtres, qui ont accompagné le corps au cimetière Saint- Barthélemy, et les pauvres qui leur ont fait cortège, 9 sous. Pour le prêtre ou prieur de l’hôpital, 2 sous. Pour les porteurs, qui ont transféré le corps au lieu de la sépulture, 4 sous. Pour les prêtres de Saint-Mathieu, 3 sous 4 deniers. Au cimetière de l’église Saint Barthélemy, 12 deniers. Pour le lit du curé de la paroisse Saint Firmin, 4 livres. Pour le cercueil, 12 sous. Pour les chapes, la croix et les prêtres de Saint Firmin, 7 sous. Pour une messe, dite à l’intention du disséqué, 20 deniers.  »

On s’appliquait à dédommager le sujet sur lequel s’étudiait le corps humain, par une ample compensation d’honneurs funèbres. L’on se lassa bientôt d’un cérémonial si compliqué, et dés l’année 1532 les dépenses à cet égard apparaissent, dans le Livre des Procureurs, remarquablement simplifiées. Il n’était pas toujours nécessaire de traiter le mort avec tant de façons, lorsqu’il s’agissait d’un criminel notamment et c’était dans cette catégorie surtout que s’approvisionnaient nos anatomistes, depuis que l’autorité civile leur avait permis, en 1377, de revendiquer pour l’exercice du scalpel les pendus et autres suppliciés. Aussi se tenait-on constamment aux aguets, et ne perdait on pas de vue les fourches patibulaires.

Cette installation était, certes, loin de rivaliser avec les facilités actuelles ; car son ensemble ne coûta qu’un écu et 18 sous, c’est-à-dire un peu moins de 3 livres, mais on montrait par là que les études anatomiques s’enracinaient dans l’école, et que, si les étudiants ne pouvaient encore se passer de recourir, pour se procurer tous leurs moyens de travail, à l’enlèvement furtif des cadavres, soit dans les hôpitaux, soit dans les cimetières, on avait néanmoins 1 a ferme intention de ne plus restreindre désormais l’enseignement à l’interprétation purement orale des textes Hippocratiques. L’autorité à son tour éprouvait le besoin de témoigner plus de condescendance à l’égard des demandes de nos médecins. Le prévôt des maréchaux ne refuse plus, à partir de là, à nos étudiants les cadavres de suppliciés ; et il suffit d’être immatriculé pour avoir droit d’assister gratuitement aux anatomies auxquelles ils donnent lieu. Le paiement n’est plus de mise que pour les cas exceptionnels, et on en fait mention expresse dans le compte du procureur, à mesure qu’il se produit la dissection passe à l’état de coutume scolaire. On n’en suspend la pratique désormais qu’en temps d’épidémie, et on dit pourquoi. Voici, à ce propos, un passage assez curieux du Registre journal du procureur de l’année 1533 Léonard Veirier : « faisons à tous les suspôts de l’Université, qu’entre le 5 septembre et la fête des rois, les assemblées et les leçons de l’école n’ont été accompagnées d’aucune démonstration anatomiques, à cause de l’intempérie de la saison et de la peste qui régnait dans les hôpitaux. M’y étant un jour présenté, en compagnie de l’abbé et des chirurgiens pour y trouver un sujet propre à la dissection, on nous en offrit un atteint d’une maladie du charbon au pied. À cette vue, nous nous mîmes vite à fuir. A quels périls ne sont pas exposés les pauvres procureurs. Et il y a pourtant des brouillons qui nous font la guerre ! Vive les bons procureurs, et à bas les étourdis »

Cette boutade nous laisse deviner, alors même que les autres documents sont muets sur ce chapitre, à travers quelles difficultés se traînait parfois l’administration de l’école de médecine.

En 1550 un arrêt des Grand Jours de Béziers prescrivait à nos docteurs l’obligation de quatre anatomies par an, qu’on devait confier à l’un des dits docteurs et chirurgiens des plus idoines et suffisants. Les étudiants Félix Platter (1536-1614) et Thomas Platter (1574-1628) rapportent leur intérêt pour l’anatomie.  » Toutes ces circonstances m’engagèrent non seulement à étudier et à suivre les cours avec assiduité, mais encore à regarder attentivement dans la pharmacie la manière dont se préparoient les médicaments. Mon maître possedoit une forte clientèle : aussi de mes séances en son laboratoire, j’ai retiré grand profit. De plus je recueillois une foule de plantes, que je fixois sur du papier. Mais avant tout je désirois connoître l’anatomie. Je ne manquois jamais d’être présent lorsqu’on pratiquoit en cachette l’ouverture d’un cadavre. Dans les commencements, l’opération me parut repoussante ; néanmoins, avec quelques étudiants welches, je courus plus d’un risque afin d’obtenir des sujets. De fréquentes dissections avoient lieu chez Gallotus, qui avoit épousé une femme de Montpellier et jouissoit d’une certaine fortune. Il nous convoquoit pour aller en armes hors de la ville déterrer secrètement, dans les cimetières adjacents aux cloîtres, les morts inhumés le jour même : nous les portions chez lui, où nous procédions à l’autopsie. Certains individus avoient charge de prendre garde aux enterrements, et de nous conduire à la fosse.

Ma première expédition de ce genre date du 11 décembre 1554. La nuit étoit déjà sombre, quand Gallotus nous mena hors de la ville au monastère des Augustins. Nous y trouvons un moine aventureux, qui s’étoit déguisé et nous prêta son épée. Nous entrons furtivement dans le cloître, où nous restons à boire jusqu’à minuit. Puis, bien armés, et observant le plus profond silence, nous nous rendons au cimetière de Saint-Denis. Myconius voit son épée nue, comme les velches leurs rapières. Nous déterrons le mort, en nous aidant des mains seulement ; car la terrain avoit pas eu le temps de s’affermir. Une fois le cadavre à découvert, nous lui passons une corde, et, tirant de toutes nos forces, nous l’amenons en haut : après l’avoir enveloppé de nos manteaux, nous le portons sur deux bâtons jusqu’à l’entrée de la ville. Il pouvoit être trois heures du matin. Nous déposons notre fardeau dans un coin, et frappons au guichet. Un vieux portier se présente en chemise, et ouvre. Nous le prions de nous donner à boire, prétextant que nous mourions de soif. Pendant qu’il va chercher du vin, trois d’entre nous introduisent le cadavre, et s’en vont le porter dans la maison de Gallotus, qui n’étoit pas fort éloignée. Le portier ne se douta de rien. Quant aux moines de Saint-Denis, ils se virent obligés de garder le cimetière et de leur cloître ils décochoient des traits d’arbalète sur les étudiants qui s’y présentoient. Le theatrum sérvoit souvent aux dissections, qui étoient alors présidées par un professeur/un barbier manioit le scalpel. Outre les étudiants, l’assistance se composoit de seigneurs et de bourgeois en grand nombre, de dames aussi, quand même on dissequoit un homme ; beaucoup de moines y venoient également.